Le restaurant des erreurs de commande redonne le sourire

　On l’appelle le « Restaurant des erreurs de commande » — un restaurant dont les commandes et le service ont tendance à se perdre en route. Et pour cause, ici, tous les serveurs et serveuses sont affectés de déficience cognitive à un certain degré.
　À l’origine de ce restaurant éphémère, il y a la rencontre entre son créateur, Shiro Oguni, et un foyer d’accueil pour personnes atteintes de sénilité. « Comme tout le monde, ma perception de la démence sénile était à priori négative, avec l’image de gens complètement dans la lune ou errant sans trop savoir où ils vont. Alors qu’en fait, ces hommes et ces femmes sont capables de cuisiner, de faire leur ménage, leur lessive, les courses et autres activités considérées comme normales. Même si, c’est vrai, il peut leur arriver d’avoir de petites absences de ici et là... »
　C’est l’heure du déjeuner. M. Oguni a commandé un steak, mais on lui sert une assiette de gyoza (raviolis chinois). « Comme tout le monde autour de moi dégustait avec plaisir, je me suis senti un peu confus et j’en suis même venu à me demander si ce n’était pas moi qui avais fait une erreur. Et je me suis dit : « Pourquoi s’offusquer de la différence entre un steak et des gyoza ? C’est une erreur, voilà tout. » Cette tolérance permet de détendre complètement l’atmosphère et de profiter du dîner. »
　Ouvert avec l’aide de nombreux intervenants, le « Restaurant des erreurs de commande » est effectivement un lieu où des erreurs se produisent. Une femme âgée guide ses clients vers leur table, puis s’assied avec eux. Une autre sert un café chaud avec une paille. Une autre encore se bat avec un grand poivrier, pas tout à fait certaine que le poivre tombera là où il faut. Tout le monde à table vient prêter main forte et finit par éclater de rire : « On a réussi ! » Mais bien sûr, pour M. Oguni, « le but du restaurant n’est pas de vérifier si les commandes sont prises correctement ou non. Ce qui importe, c’est l’interaction avec des personnes séniles. »

　Malgré la réussite de ce « restaurant des rires perpétuels », M. Oguni était initialement inquiet des critiques qui pourraient lui être adressées : « La démence n’est pas un spectacle de cirque » ou « ne faites pas d’eux la risée de tous ! » Mais en réalité, quand les invités voient les sourires de leurs serveurs et serveuses et la joie qui motive leur travail, certains admirent leur courage et d’autres sont émus aux larmes. Et tous les serveurs disent la même chose : « Je suis encore capable. Ça m’a redonné confiance. » L’image négative de la démence a été remplacée par une image gaie et positive. « Dire “madame Untel est sénile” ou “madame Untel souffre de démence sénile”, ça n’a rien à voir. La démence n’est pas l’identité d’une personne, mais simplement une partie. Les gens restent eux-mêmes. Le changement ne viendra pas d’eux, il doit venir de la société », fait observer M. Oguni. « En cultivant la tolérance, on peut pratiquement tout résoudre. Le slogan « Cool Japan » suscite beaucoup d’enthousiasme en ce moment, mais pour moi, vivre dans un « Warm Japan », un Japon chaleureux, est tout aussi important. Je veux mettre en avant un Japon qui cultive un environnement chaleureux et confortable, pour que les gens puissent repartir chez eux avec le sourire et du baume au cœur. »